Restaurant « Epicure » *** par Eric Fréchon (Hôtel le Bristol)

L’ expérience d’un Palace 

Parmi les huit hôtels classés Palace à Paris, le Bristol est notamment revenu sur le devant de la scène ces dernières années grâce au rayonnement d’ Eric Fréchon. Ce grand Chef y a insufflé son identité et sa force créatrice permettant au restaurant Epicure d’obtenir ses trois étoiles depuis maintenant sept ans, atout majeur pour un établissement de ce standing ayant pour ambition de se démarquer de la concurrence.

Epicure - Eric Frechon

Lorsque l’on a pour écrin un hôtel luxueux et une salle de restaurant à la décoration 18e siècle richement ornée, quelle orientation culinaire un Chef peut-il choisir ?

De ses expériences au Crillon aux côtés de Christian Constant jusqu’à son titre de Meilleur Ouvrier de France, Eric Fréchon a été profondément marqué par la grande cuisine française de tradition. La rigueur, la régularité et la transmission sont des aspects forts de sa personnalité. Son tempérament généreux, investi et inspiré ont sans doute généré le choix du nom « Epicure » pour illustrer la vocation de cette grande table. Une cuisine de plaisir, de gourmandise subtile et de saveurs délicates, alliée à une maîtrise technique sans concession, sont autant de facettes que l’on retrouve jusque dans les assiettes.

Epicure - Eric Frechon

Lorsqu’on imagine la pureté d’un trait, Matisse ou encore Picasso illustrent tout de suite l’image d’un certain dépouillement. Tout comme un peintre ou un musicien, le long parcours artistique et humain des esprits les plus créatifs tend souvent à atteindre la perfection à travers une recherche de simplicité qui abandonne tous les artifices. Eric Fréchon fait bien partie de ceux-là, et sa liberté d’expression semble totale. Je ne peux être qu’extraordinairement sensible à l’aboutissement de ces plats, maintes et maintes fois travaillés, améliorés et peaufinés à l’extrême pendant parfois des mois avant d’être présentés sur la toile que représente l’assiette. C’est en ce sens que vous devez vous immerger au coeur de ce récit, témoignage sensoriel et imagé d’un moment de vie, et ressentir les émotions d’une rencontre privilégiée avec l’oeuvre vivante d’un auteur culinaire majeur de notre patrimoine immatériel.

Il est treize heures

Comme nous sommes en Juillet, l’espoir de déjeuner en plein air dans la magnifique cour intérieure de l’hôtel est de mise – c’était sans compter sur un temps maussade, digne d’un mois d’octobre très parisien – Soit ! Le maître d’hôtel nous installe confortablement à la belle table ronde centrale de la salle pour quatre personnes, face à une majestueuse cheminée.

Tout le personnel nous salue un à un avec beaucoup de déférence et de tact. Nous sentons immédiatement que nous serons choyés toute l’après-midi. Voilà qui attise notre soif ! A ma demande, le Chef Sommelier (Bernard Neveu) apporte la carte des vins : impressionnant grimoire aux 3000 références. En s’éloignant des étiquettes les plus illustres, les 90000 bouteilles que détient la cave du Bristol regorgent de pépites à découvrir. Pour accompagner l’apéritif, mon choix se porte sur un Vouvray Sec du Domaine Foreau 2010. Etincelant de fraîcheur, ce beau Chenin s’exprime sur un registre minéral tout en délicatesse sur ce grand millésime. Une crème d’asperges, une sucette croustillante sauce tandori et une mini religieuse au poisson composent nos premiers amuse-bouches. Suivis par un tartare de tomates anciennes, eau de tomate en gelée et dentelles d’olive. La fraîcheur et la profondeur des saveurs pourtant tout en légèreté nous emportent déjà vers nos premières sensations d’apesanteur.

Epicure - Eric Frechon

Il est déjà temps de choisir un autre vin blanc. Connaissant parfaitement la composition des plats à suivre, Bernard Neveu nous oriente vers la région du Languedoc avec un Vin de Pays de l’Hérault, Domaine Clos Lalfert 2010. Superbe découverte que ce 90 pour cent Roussanne complété de 10 pour cent de Viognier d’une belle couleur dorée, à l’intensité aromatique très fine et la finale saline.
L’assiette de « Petits pois de jardin, girolles, oignons nouveaux, amandes et chorizo » est complétée sur table par un bouillon de légumes aux fleurs de capucines. Incroyables effluves concentrées rappelant une réduction de crustacés, pourtant absents de la recette : un tour de magie ! Tant de parfums, une telle intensité de goût où chaque saveur conserve sa singularité au sein d’un ensemble d’une parfaite harmonie : à ce stade, nous sommes pleinement immergé dans le monde d’ Epicure. Le temps semble suspendu et le sol se dérobe sous nos pieds.

« Dorade Royale juste salée et marinée à la menthe fraîche, eau de concombre à peine gélifiée, crème au yuzu »

Epicure - Eric Frechon

Produit d’exception, cette Dorade à la texture fondante est délicatement relevée par la crème au yuzu légèrement acidulée. La gelée de concombre tremblante enrobe finement chaque bouchée et intensifie la sensation de fraîcheur. Quelques pincées de piment d’espelette ajoutent un peps chaleureux et vivifiant. Par ces saveurs distinctes et complémentaires, l’apparente simplicité de ce plat dissimule la science de composition culinaire du Chef. Brillant.

Un moment marquant

Région viticole encore méconnue d’une grande majorité d’individus, le Jura offre aujourd’hui des vins de très grande qualité où les meilleurs vignerons façonnent de purs bijoux de terroir apportant beaucoup de plaisir. Un Arbois rouge « Poulsard » du Domaine Jacques Puffeney 2013 pour accompagner l’un des plats signature emblématique du Chef Fréchon :

« Macaronis farcis, truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan »

Epicure - Eric Frechon

D’un visuel graphique bi-coloré, ce plat reflète véritablement la gourmandise épicurienne.
Véritable idylle lorsque les saveurs de foie gras, artichaut et truffe noire s’unissent amoureusement. Si loin que remontent mes souvenirs de pâtes – plat domestique par excellence – je n’aurais jamais cru ressentir autant de sentiments. Car c’est de cela qu’il s’agit : une cuisine de sentiments. Des saveurs riches, une cuisson miraculeuse, une émulsion de vieux parmesan au goût fruité à se damner… J’ai réellement ressenti – à ce moment précis – que ce plat était la raison d’être de l’expérience d’une grande table provoquant un trait d’union entre tous les convives. Par des échanges de regards prolongés sans mot dire, nous avons tous été ému et reconnaissants. Un grand moment.

Le vin d’Arbois, tout en fruit, nous suivra allègrement lors de la dégustation du « Ris de Veau doré au sautoir, braisé à l’amaretto, compotée d’oignons rouges aux amandes fraîches ».

Epicure - Eric Frechon

Met de choix, le Ris de veau est une grande spécialité du Chef. Et l’on ne s’y trompe pas. Un abat d’une qualité ultime à la saveur douce délicatement parfumée par l’amaretto. Par sa jolie couleur rose, la compotée vient taquiner le ris de sa légère sucrosité. Moment très attendu des gourmets et servi en saucière, le jus réduit est ensuite laissé sur table, à discrétion. Si la perfection existe, elle est à l’image de ce jus au goût absolu ! Nous oublions alors toute bonne manière et sauçons joyeusement dans nos assiettes les dernières gouttes de ce précieux nectar, en toute impunité et vivement encouragés par le maître d’hôtel.

Epicure - Eric Frechon

L’ensemble du personnel, très attentif, est en permanence aux petits soins dans une atmosphère détendue. C’est le moment parfait pour nous laisser aller à l’archétype du vice épicurien : le fromage.
Quel bonheur de voir le chariot tubulaire à deux étages s’avancer vers nous. Plus adapté aux ferments lactiques, un vin blanc nous rafraichira sans doute le palais. Ainsi un Côte du Jura « Naturé », Domaine Berthet-Bondet 2008, nom ancien du cépage Savagnin, nous est conseillé par Bernard Neveu. D’un caractère non oxydatif, ce vin aux reflets brillants bénéficie d’une certaine structure et doté d’une bonne allonge. Nos fromages s’en trouvent ravis… et nous aussi !

Epicure - Eric Frechon

En pré-dessert et pour nous rafraîchir, un sorbet au citron vert et basilic, fraises des bois et gelée yuzu joliment dressé ainsi que de surprenantes billes d’eau de fraise au goût très intense. Tel un tableau rappelant un grand soleil, l’ « Abricot du Roussillon rôti à la vanille, sorbet aux saveurs d’Orient, Chantilly au lait d’amande amère » nous emmène vers un monde de douceur. Le crémeux de l’ensemble est caressant et les notes épicées agrémentent l’idée d’un songe que provoque le point d’orgue de cette fin de repas. Je suis au paroxysme du bien-être.

Submergés par toutes ces émotions, nous sommes heureux de voir le soleil faire son retour comme en écho à notre dessert, nous permettant de déguster un café dans la cour intérieure.  L’exposition d’une oeuvre de Buren toute en couleur s’accorde avec la mosaïque colorée des macarons, madeleines et autres friandises. L’oeuvre est achevée !

Epicure - Eric Frechon

Ayant duré plus de cinq heures, cet inoubliable déjeuner fut le reflet glorieux de ce qu’un grand Chef peut accomplir afin de vous offrir un instant de vie sublimé. Délivré de toute arrogance, rarement un repas n’ a semblé plus abouti, plus sincère. Par son aspect lisible, le message universel de la cuisine d’ Eric Fréchon est un hymne à la joie qui rassemble, qui rassure. Une telle aventure gastronomique vous plonge dans un présent magnifié.

Il faut se donner les moyens de la vivre pour comprendre le caractère éphémère de toute chose afin d’ en absorber le sens humain qui fait toute la différence : l’émotion.


Epicure 
112 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Tel : +33 (0)1 53 43 43 40

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *